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Lettre ouverte

Quand la logistique a triomphé

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06 juin 2024 10:49

Le 1er septembre 1939, mon père a 15 ans et s’apprête à retourner à son internat à Saint-Raymond-de-Portneuf au Québec pour poursuivre ses études secondaires. Fervent lecteur de la presse, il s’intéresse à l’actualité européenne, il comprend bien que la tension entre l’Allemagne et le reste de l’Europe arrive à un point de rupture. Il s’inquiète de ce qu’il lit sur Hitler, Mussolini et la montée du fascisme. Il a en horreur le mot «dictature», car il en a compris le véritable sens.

Note de la rédaction : Le Journal de Lévis n'endosse aucune opinion qui est partagée dans les lettres d'opinion ou ouvertes publiées dans notre section Opinions. Les opinions qui sont exprimées dans ce texte sont celles de l'auteur signataire.

En 1937, mon grand-père a hébergé une famille démunie de républicains espagnols réfugiés au Québec, cela été l’occasion pour lui de prendre conscience de la souffrance que la population espagnole a subie face aux bombardements, combats et massacres pendant la guerre civile.

Le 7 septembre 1939, le Canada entre en guerre avec l’Allemagne, pour épauler l’Angleterre et la France, papa s’apprête à rejoindre son école secondaire. Mon père admire l’armée française dont on dit qu’elle est une des plus modernes au monde et il a entendu les vétérans canadiens de la Première Guerre mondiale vanter le courage des soldats français, ne dit-on pas en 1939 qu’elle est une des armées redoutables au monde, forte de ses deux millions de combattants?

Au Canada, l’armée régulière ne compte que 4 500 soldats de métiers. En septembre 1939, 56 000 Canadiens se portent volontaires pour combattre, mon père se présente lui aussi pour se faire enrôler, mais à 15 ans il est trop jeune, il doit retourner aux études! Recalé, il conserve son envie de servir son pays et de combattre les Nazis.

Mai 1940, l’impensable se produit, la Grande Armée française est battue, la France demande l’armistice. Mon père est sidéré, comment cette France, victorieuse de 1918, a-t-elle pu en arriver à ce désastre?

Le printemps dernier à la fin de sa vie à 98 ans, lors de notre dernière rencontre, il se posait toujours cette question : comment? Pourquoi? Passionné d’histoire il lira énormément, je verrai pour la première fois au début des années 60, une photo du général de Gaulle dans la revue française Historia à laquelle mon père est abonné et j’apprendrai à connaître le nom de Clémenceau et admirer son courage.

En 1940, beaucoup des jeunes francophones canadiens sont, dans l’ensemble, opposés à cette guerre, ils n’ont aucune envie d’aller mourir pour l’Angleterre et ils redoutent déjà une possible conscription, qui viendra en 1941. Au Canada, Pétain compte de nombreux sympathisants, parmi les élites, le clergé et la population. Il faudra attendre 1943 pour que la France libre du général de Gaulle, supplante le régime de Vichy.

Mon père est atypique dans son milieu au Québec, il est persuadé de la nécessité à combattre le fascisme sous toutes ses formes. De retour au bureau d’enrôlement militaire en juillet 1940 à 16 ans, il est de nouveau recalé par son âge et aussi du fait de sa taille de 1 mètre 59! La rage au cœur il refuse de reprendre ses cours en septembre 1940 et trouve un travail qui lui procure le sentiment d’être utile à l’effort de guerre à l’arsenal militaire de Québec, où il fabrique des munitions.

À la fin de l’été 1941, il a 17 ans, il finit par se faire engager dans la marine marchande canadienne, qui ne rechigne pas à engager un jeune homme de 17 ans qui n’a jamais navigué de sa vie! En 1941, les forces britanniques sont au plus mal, la marine marchande canadienne doit absolument soutenir l’effort de guerre de Londres, dernier rempart face au nazisme, en transportant des armes, munitions et de vivres pour les aider à poursuivre la guerre. Le taux de perte de la marine marchande canadiennes est alors d’un marin sur sept. Mon père s’embarque donc dans la marine marchande durant la pire année du conflit, l’Europe est désormais occupée par les Allemands victorieux sur tous les fronts, les troupes allemandes sont en Afrique du Nord et ils ont envahis l’URSS en juin et atteignent finalement en décembre la banlieue de Moscou, où les Soviétiques commencent l’évacuation vers l’Oural des centres de commandements.

Les États-Unis n’entreront en guerre qu’en décembre 1941 après l’attaque de Pearl Harbor. À sa première traversée de l’Atlantique, il alterne ses journées entre le jour à la soute à charbon pour alimenter la propulsion à la vapeur de son navire et, la nuit, en qualité de benjamin de l’équipage, il hérite du poste de vigie dans le nid-de-pie, au sommet du mât du navire, poste d'observation privilégié pour ce jeune guetteur à qui on apprend à repérer les redoutés U-Boot allemands et leurs périscopes, afin d’en informer immédiatement la timonerie du navire.

Des U-Boot allemands, il en verra souvent pendant la guerre et connaîtra leurs attaques meurtrières. Winston Churchill déclara après la guerre que «la seule chose qui m’a vraiment effrayé pendant la guerre était la menace des sous-marins allemands». Ces navires de la marine marchande canadienne sont la cible privilégiée des sous-marins allemands qui les traquent en utilisant la tactique du «Wolf Pack».

Au début de la guerre la «flotte» de la marine marchande canadienne est souvent encore équipée de bateaux à vapeur, armés uniquement des canons de 12 livres QF 12 Cwt et généralement sans escortes militaires. La marine marchande canadienne effectuera près de 25 000 rotations entre le Canada et l’Europe durant la Deuxième Guerre mondiale, ce qui permettra de maintenir le soutien logistique nécessaire aux Britanniques pour poursuivre les combats et ainsi rendre possible l’organisation du débarquement, triomphe de la logistique sur le nazisme.

Au total, la marine marchande canadienne transportera 165 millions de tonnes de marchandises en Europe, seconde derrière la marine marchande américaine qui en transportera 200 millions de tonnes.

Je ne cherche pas ici raconter la guerre de mon père, mais je veux avant tout, c’est que l’on n’oublie pas la détermination, le courage et la résilience dont les marins canadiens ont fait preuve durant ce conflit. C’est une véritable source d’inspiration qui doit toujours nous accompagner. Ces marins ont, par leur abnégation, contribué à rendre possible le débarquement allié en Normandie.

Honneur à ces 12 000 marins qui ont servi dans la marine marchande canadienne pendant la Deuxième Guerre mondiale et aux 1 451 (dont huit femmes) qui n’en sont jamais revenus.

Michel Lemieux, Lévisien habitant à Paris

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