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Le nécessaire virage de la santé durable

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Photo : Unsplash - Marcelo Leal

07 déc. 2024 07:00

«Il faut sortir du créneau de juste gérer la maladie. Ça nous prend une déclaration d’engagement en santé publique. Face aux enjeux de pauvreté, d’exclusion ou de manque d’accès, il faut réfléchir ensemble, avec les gens et les acteurs du milieu», constate Jean-Pierre Després, directeur scientifique de VITAM.

Par Isabelle Burgun — Agence Science-Presse (www.sciencepresse.qc.ca)[1]

Le directeur scientifique de VITAM — Centre de recherche en santé durable — définit la «santé durable» comme «un esprit sain dans un corps sain, dans un milieu de vie et un environnement sains, sur une planète en santé».

Le concept a fait du chemin ces dernières années. En compagnie de chercheurs et citoyens, M. Després participait en septembre au Symposium santé durable : un univers de recherche, organisé par les Fonds de recherche du Québec, pour parler d’une approche de santé «globale» pour l’humain, son environnement et sa planète.

«L’idée est de toucher à davantage de sphères de la vie des gens, et de rappeler que le système de soins actuel n’est pas une panacée, en plus d’être un grand pollueur», ajoute Louise Potvin, professeure titulaire de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

La naissance de la nouvelle agence Santé Québec apparaissait aux experts du symposium comme étant encore trop axée sur le médical et le traitement des maladies. Alors qu’il s’avère nécessaire de se demander quelle place prendra la prévention.

«Je suis un pessimiste optimiste», lance pour sa part Christian Casanova, le directeur général de la recherche et des partenariats de l’École de technologie supérieure (ÉTS).

Il est d’avis qu’il faut travailler plus fort sur la prévention, comme tente de le faire son équipe. Car «la recherche est très médicalo-centriste», c’est-à-dire orientée vers les pathologies. «Pour trouver des fonds pour la prévention, il faut se lever tôt.» Il faut aussi «que les universités et les fonds de recherche fassent leur part», relève le chercheur.

Jean-Pierre Després relate pour sa part les conversations citoyennes qui sont, pour lui et son équipe de recherche, «un exercice de démocratisation de la santé». Il importe de se rapprocher des municipalités et des différentes réalités des régions éloignées. Enfin, «nous sommes une société en retard pour la bonne alimentation et on constate des problèmes intergénérationnels : les jeunes sont moins en santé qu’autrefois».

Cette sensibilisation commence donc tôt, soutient la directrice de l’Observatoire des tout-petits, Julie Cailliau. Elle dénombre de nombreuses initiatives qu’il importe de mieux soutenir et d’encourager, comme l’organisme communautaire Halima nutrition, qui accompagne des centaines des femmes enceintes.

Près d’un très jeune sur 10 — soit 47 660 tout-petits — vivait en 2021 dans une famille à faible revenu, et près d’un sur trois (27,4 %) dans une famille monoparentale. Le Collectif de la petite enfance reste inquiet malgré le dépôt récent du quatrième Plan d’action québécois de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

L’économie du bien-être

«Il faut élargir notre regard pour repenser la santé en lien avec le social, les inégalités et la qualité de l’environnement», renchérit l’économiste français et enseignant à OFCE/Sciences Po (Paris), Éloi Laurent.

L’auteur de nombreux ouvrages, dont Économie pour le XXIe siècle (La Découverte, 2023) et Si la santé guidait le monde (Les Liens qui libèrent, 2020), rappelait lors de ce même symposium la nécessité de changer notre système économique, qu’il qualifie de mortifère pour les humains comme pour l’environnement.

«On peut lire plus de 1 500 articles sur des moyens de faire autrement en préservant la planète», que l’on parle de post-croissance, de décroissance, d’économie circulaire, d’économie du beigne (Doughnut Economy)», détaille l’économiste.

L’économie du bien-être, un concept abordé lors de récentes conférences Beyond Growth 2024 en Europe, vise une série de transformations du système économique vers un mode plus durable et équitable.

«L’épidémie de la COVID nous a appris trois choses : l’importance d’une santé soutenable en lien avec la justice sociale, l’importance des relations sociales et la santé écologique — ce qu’on appelle aussi Une seule santé», insiste Éloi Laurent.

Des chercheurs qui doivent se mettre en mode écoute

«Lorsqu’on parle de santé durable, il faut avoir une approche systémique. La santé évolue dans le temps, elle n’est pas statique», rappelle Nathalie Tremblay. La conseillère scientifique et présidente de Gestion Névé inc. pense qu’il faut passer à la pratique, avec des approches comme celles des Living Labs. Ces «laboratoires vivants» permettent d’élaborer des projets en réunissant des gens de tous horizons autour d’initiatives citoyennes.

L’économiste Florian Mayneris, du département des sciences économiques de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, abonde dans le même sens : «il faut considérer cela comme un travail d’équipe. Nous, les chercheurs, nous avons un rôle de passeurs et nous devons tisser des réseaux de pratiques».

La nutritionniste-diététiste Maude Perreault trouve elle aussi que l’écoute est souvent ce qui manque dans la recherche. «Je nous trouve, très souvent, pas assez accueillants».

La chercheuse au Centre Jean-Jacques-Gauthier, du Centre de recherche du CIUSSS Nord-de-l’Île-de-Montréal, collabore avec l’organisme Celiac Québec, qui organise un forum citoyen sur la santé rassemblant patients, familles, représentants des gouvernements, ainsi que les chercheurs et les entreprises de transformation alimentaire.

«Les académiques sont très pédants et oublient d’écouter. Il nous faut renouer avec l’humilité et le respect de la culture», relève Evelyne de Leeuw, du département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal, et titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la santé urbaine.

L’espoir de la relève pour la santé durable

«Un de nos enjeux est d’équiper nos étudiants pour être plus près de la prévention», présente Laurence Robatto, la responsable du domaine de santé HES-SO rectorat de Suisse.

Il s’agit d’un réseau de 28 hautes écoles spécialisées, déployé dans les cantons, et qui travaille avec les partenaires de terrain autour d’enjeux locaux. «Pour relever les défis du 21e siècle, il faut répondre aux aspirations des jeunes générations. Il nous faut écouter et intégrer par le haut leurs préoccupations», note la responsable.

Le nouveau profil de la promotion de la santé du Campus Santé de Lausanne se destine à accueillir plus de 4 000 étudiants en santé, en plus de miser sur l’interdisciplinarité.

Ce sont des étudiants qui peuvent se préoccuper aussi d’autres étudiants. «La clinique Consultation Santé Mozaïk vise les étudiants vulnérables. Ce sont donc des étudiants qui offrent des prestations aux étudiants en gynécologie, blessures sportives, etc.», explique encore Mme Robatto.

«Il faut envoyer notre relève dans les communautés en étant bien outillée, pour répondre aux enjeux complexes. C’est pour cette raison qu’il faut penser autrement la formation et y aller plus par une approche par problèmes, afin d’avoir une vision plus large que la maladie», résume Michèle Bouchard, la vice-doyenne à la recherche de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

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